On parle assez peu du harcèlement sexuel au travail. Le sujet semble bien avoir du mal à émerger. Assez tabou très certainement. Et pourtant cette infraction a été introduite au sein du Code pénal et du Code du travail en France en 1992 grâce aux luttes des féministes, notamment l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail. Mais grâce aussi à une Recommandation européenne du 27 novembre 1991 sur la protection de la dignité des femmes et des hommes au travail et le « Code de pratique » visant à combattre le harcèlement sexuel qui lui est annexé. Le harcèlement sexuel se définit alors ainsi en France :
« Le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende ».
Trois remarques sur cette définition :
- le harcèlement sexuel se définit par « le fait de harceler », tautologie par définition muette sur ce qu’est réellement le harcèlement.
- on parle de « faveurs de nature sexuelle », comme s’il s’agissait de séduction
- le harceleur « abuse de l’autorité » donc il ne peut être qu’un supérieur hiérarchique et non un collègue.
Ce dispositif fut complété la même année par un volet social stipulant qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement sexuel. De même pour la personne qui témoigne.
La définition de 1992 se révéla assez peu opérationnelle car ne correspondant pas à la réalité du harcèlement sexuel. De fait, peu de décisions pénales ou prudhommales furent prises.
En outre la définition de la France différait trop de celle du Code de pratique qui stipule :
« Comportement intempestif à connotation sexuelle ou tout autre comportement fondé sur le sexe qui affecte la dignité de la femme et de l’homme au travail. Ces termes peuvent recouvrir tout comportement physique, verbal, inopportun ».
Sous la pression des mouvements féministes la loi fut de nouveau modifiée à plusieurs reprises et notamment par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Le harcèlement dans le Code pénal devint alors :
« Le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ».
L’abus d’autorité disparaît ainsi de la définition du harcèlement. On peut donc être harcelé par un collègue. Cette définition est aussi intégrée dans le Code du travail.
Le Code de la Fonction publique, lui, stipule : “Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire [ou d’un agent non titulaire de droit public ] en prenant en considération :
1° Le fait qu’il a subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ;
2°Le fait qu’il a formulé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;
3° Ou bien le fait qu’il a témoigné de tels agissements ou qu’il les a relatés.
Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus.”
Le 22 septembre 2002 une directive du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne européenne est adoptée. Elle définit ainsi le harcèlement sexuel : « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
La Directive européenne prend en compte le consentement de la victime en parlant de comportement non désiré et de dignité alors que la définition française se situe du point de vue seul de l’agresseur.
C’est un changement total de la prise en compte habituelle. Elle prend aussi en compte l’environnement et le fait que le harcèlement peut constituer un fait isolé.
Cette directive européenne devait être intégrée dans le droit français avant le 5 octobre 2005. Ce qui ne fut pas fait. La France fit alors l’objet d’une procédure en manquement comme 9 autres pays. C’est alors qu’en 2006, la Commission européenne adopte une nouvelle directive sur les discriminations où le harcèlement sexuel est inclus. La France, qui doit présider l’UE, transpose ces 2 directives dans le droit français en catastrophe par la loi du 27 mai 2008. Celle ci stipule :
« La discrimination inclut :
1° Tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa (traitement de manière moins favorable pour une personne, ndlr) et tout agissement à connotation sexuelle, subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant »
Cette loi ne remet pas cependant pas en cause la définition du harcèlement sexuel de janvier 2002. Transposition donc incomplète et occasion ratée de se rapprocher de la réalité du harcèlement sexuel au travail. Bizarrement ces deux définitions coexistent.
Une autre occasion ratée fut la loi du 9 juillet 2010 « relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. ». L’Assemblée adopte à l’unanimité le 25 février 2010 une proposition de loi qui stipule à l’article 19
« Tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant constitue un agissement de harcèlement sexuel.
Tout agissement de harcèlement sexuel est interdit. »
Ce rapprochement de la définition de la Directive de 2002 est totalement supprimé, après le passage au Sénat , dans la mouture définitive de la loi. Le gouvernement n’en veut pas !
Les péripéties judiciaires en témoignent : la France a décidément peur du harcèlement sexuel au travail....
La suite, on la connait, elle date d’aujourd’hui......