Collectif national pour les droits des femmes

Violences

Pour introduire la loi-cadre contre les violences 2013

Intro du colloque du 23 mars au Palais du Luxembourg

mercredi 27 mars 2013

Voici 6 ans et demi maintenant que nous présentions, ici même au Sénat, notre proposition de loi-cadre contre les violences faites aux femmes. Cette loi, l’inspiration nous en était venue à la suite des Espagnols qui avaient adopté en décembre 2004 une « loi intégrale contre la violence de genre ». Et cette loi c’est toute une histoire.
Mais avant de la conter, laisser moi vous expliquer en 2 mots, ou plus peut-être, ce qu’est cette loi. C’est une loi qui vise, dans un même texte, à prendre en compte tous les aspects de la la lutte contre les violences faites aux femmes : prévention, éducation, sensibilisation, accompagnement, solidarité, lutte contre la publicité sexiste, logement, travail, social, santé, justice, procédure pénale, je dois en oublier.

C’est une loi qui vise à opérer un saut qualitatif dans l’appréhension des violences faites aux femmes. C’est une loi qui vise à privilégier la prévention, l’éducation, la sensibilisation, tout en ne négligeant pas la répression car les violences faites aux femmes doivent être réprimées comme sont réprimées les violences racistes par exemple. Cette une loi qui en bref vise à avancer considérablement dans ce difficile combat à mener. Car, bien que les féministes contemporaines aient débuté la lutte dans les années 70, la législation est encore morcelée, incomplète et très mal appliquée.
Depuis 2006, beaucoup de choses ont changé. Je ne vais pas vous raconter tout le détail du travail parlementaire que nous avons suivi pas à pas avec nos amis politiques parce que ça serait bien trop long, ni les mobilisations qu’il a fallu soutenir pied à pied. Mais le fait est que nous avons obtenu la promulgation d’une loi le 9 juillet 2010. Ceci était fort improbable dans la mesure où déjà le 4 avril 2006 une loi contre les violences faites aux femmes avait été votée. Et ça n’est pas si souvent qu’une loi contre les violences est votée. Mais remarquez le : une fois qu’une loi est votée, il faut en revoter une nouvelle parce que tout n’a pas été pris en compte. Alors que les revendications sont parfaitement identifiées.
Donc une loi est promulguée le 9 juillet 2010.
Cette loi nous avons estimé que c’était une avancée certes mais qu’elle était insuffisante. Nous persistons et signons. C’est une loi qui reste la plupart du temps au mi temps du chemin.
Par exemple elle instaure une ordonnance de protection (des mesures pour protéger les femmes comme son nom l’indique) mais elle en limite les « bénéficiaires » si j’ose m’exprimer ainsi, aux seules femmes victimes de violences conjugales ou menacées de mariage forcé. Je pense que les jeunes filles de Fontenay sous Bois, violées pendant des années par des garçons de la cité et obligées, après avoir déposé plainte, de rester sur place, faute d’argent pour déménager, auraient bien aimé en avoir une.
Elle interdit la médiation pénale en cas de violences conjugales. Ça consiste à mettre les gens ensemble, ici l’auteur et la victime des violences, et voir s’il ne pourrait pas y avoir un règlement à l’amiable. Toutes les féministes sont contre car on est ici en présence d’un délit, que les faits ont été perpétrés durant longtemps avant que les femmes ne déposent plainte et qu’il est donc illusoire de vouloir recoller les morceaux, ce que les femmes ont tenté si longtemps. Un délit de cette nature doit être sanctionné en tant que tel. Et bien donc la loi du 9 juillet interdit la médiation pénale mais uniquement pour les femmes qui ont une ordonnance de protection. Et les autres ? Celles qui ont porté plainte sans demander d’ordonnance de protection ? Quel paradoxe !
Elle instaure le délit de violences psychologiques au sein du couple. Enfin, la France qui était à la traîne par rapport à d’autres pays et aux organismes internationaux se met à la page. On aime pas beaucoup les violences psychologiques en France, on sait pas comment traiter. Y’a pas de preuves entend-t-on. Mais on avait quand même affaire à un sacré paradoxe : le délit de harcèlement moral a été instauré en 2002 au travail alors que ça ne pouvait exister dans le couple. Sans doute à cause des liens d’amour. Et bien, pour le délit de harcèlement moral au sein du couple, la loi du 9 juillet 2010 ne fait référence qu’à des agissements répétés. On ne peut donc pas harceler moralement par des paroles. Comprenne qui pourra ! Le mot parole figurait. Il a été enlevé par le Sénat, de droite à l’époque.

Tout ce que je déplore là a donné lieu à des amendements défendus au Sénat et à l’Assemblée par des députés et sénatrices sénateurs du Parti communiste, des Verts, du Parti Socialiste, parfois des centristes. Mais en bout de course, le Sénat s’est révélé comme étant le bras armé du pouvoir de Sarkozy qui ne voulait pas de tout cela, nous le prouvons dans la brochure sur la loi. Et encore je ne cite pas tout. L’Assemblée a été contrainte de voter conforme.

J’en viens maintenant à ce qu’il n’y a pas du tout dans la loi du 9 juillet 2010 . je ne pourrai pas tout citer mais juste donner quelques exemples :

Les conséquences des violences au sein du travail. Ça on dirait que c’est le noyau dur. Ça n’apparaît jamais nulle part. Et pourtant on sait que les conséquences sont légion en termes d’assiduité, de ponctualité, de demande de mutation. La loi-cadre, à l’instar de l’Espagne, prévoit la réduction ou la réorganisation du temps de travail, la mutation géographique, l’affectation dans un autre établissement, la suspension du contrat de travail et la démission sans préavis. Durant la suspension du contrat et la démission même, sous certaines conditions, les salariées ont droit à un revenu de remplacement.

Les prestations sociales.
La loi-cadre permet de verser de verser des aides sociales aux femmes victimes de violences les plus démunies, qui n’ont pas d’emploi, un faible niveau de formation et qui, déjà âgées, auront du mal à retrouver un emploi. Ces aides tiendront compte d’un éventuel handicap et de la situation de famille. C’est le cas en Espagne.

La procédure pénale, qui pèse tellement sur le dos des victimes, ne fait nulle part l’objet de propositions de réformes. On a vu ce que ça pouvait donner lors du procès de Créteil. Dans la loi-cadre nous faisons certaines propositions : le juge doit veiller à ne pas multiplier les actes qui approfondissent le traumatisme de la victime : expertises, confrontations, reconstitution des faits. Il veille à ne pas évoquer le passé sexuel de la victime, à la questionner sur sa sexualité. Il ne peut porter une appréciation sur la moralité de la victime. La victime peut être suivie tout au long de la procédure par une professionnelle, d’une association ou pas. La victime peut demander un enregistrement de ses dépositions. Si la victime en manifeste la demande, le Procureur et le Juge d’Instruction devront l’informer de vive voix en sa présence dans les 7 jours de leur décision de classement sans suite ou de non lieu.

Au niveau du civil, la loi-cadre remet en cause le principe de la garde alternée en cas de divorce quand des violences sont perpétrées sur la femme ou sur les enfants. Cette revendication est portée par les féministes depuis l’instauration de la loi en 2002. Personne n’en parle jamais.

Sans aborder le vaste chantier de la prostitution dont certaines mesures d’urgence auraient gagné à être traitées par la loi générale sur les violences du 9 juillet : la prise en compte de la vulnérabilité économique et de l’extrême dénuement dans les circonstances aggravantes de la traite et du proxénétisme, l’abrogation du délit de racolage introduit dans la loi pour la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy, le fait pour les victimes de la traite et / ou du proxénétisme de subordonner l’obtention d’une carte de séjour temporaire au dépôt d’une plainte alors que le risque de représailles est grand et que ces victimes sont rarement protégées dans des lieux sécurisés.

On ne trouve jamais rien non plus sur des juridictions spécialisées. Et oui, les tribunaux que nous proposons ont fait user beaucoup de salives. Nous avons maintes fois argumenté en leur faveur, on ne va pas recommencer ici. Mais sachez que diverses moutures de ces tribunaux existent, outre en Espagne, dans un certain nombre de pays.
Et je n’ai pas tout cité, c’est dans la brochure.

Non la France n’est pas la plus avancée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, comme on l’entend parfois.

Alors avec tout cela, un impératif fort nous a sauté aux yeux. Nous devions ressortir notre proposition de loi-cadre. Parce que la gauche était désormais au pouvoir et que le parti socialiste de France allait faire la même chose que celui d’Espagne. Occasion inespérée.
Parce que certaines choses ont été adoptées dedans et qu’il fallait les enlever, notamment sur les délits de presse.
Parce que depuis 2006, la loi a évolué. Le code du travail par exemple a été totalement renuméroté. Nous y faisons beaucoup référence, il a fallu faire le travail. Dans d’autres domaines aussi.
Parce que des choses manquaient, on va vous les présenter.

On a voulu aussi faire ce colloque parce que en toilettant notre loi, on s’est aperçues, combien elle était riche. Ça fait rire évidemment d’entendre cela puisque c’est nous qui l’avons écrite. Mais les débats se sont tellement focalisés sur tel ou tel aspect, en malaxant, saucissonnant qu’il a fallu , même pour nous, redécouvrir notre loi. Je fais référence à l’ordonnance de protection ou aux tribunaux.

Nous avons décidé de présenter ce colloque autour d’un thème : à quoi peut bien servir concrètement une loi-cadre contre les violences faites aux femmes ? Dans le travail professionnel, dans les collectivités territoriales, auprès des associations qui ont des professionnelles très affûtées. On demandera ensuite de donner aux politiques de donner leur avis. Puis nous parlerons des stratégies.
Pourquoi ? Parce qu’à l’heure où François Hollande a réaffirmé la préparation d’une loi-cadre sur les droits des femmes en général, dont le périmètre ne nous semble pas bien délimité d’ailleurs, nous pouvons affirmer que nous en possédons la partie violences. Utopique ? Pourquoi, l’Espagne l’a fait. Trop cher ? Les seules violences conjugales ont été estimées en 2005 à 2,5 milliards d’euros. Même si nous ne savons pas trop chiffrer, une faiblesse, nous sommes sûres que le vote et l’application de notre loi-cadre coûterait largement moins cher.

Nous n’avons pas toiletté notre loi pour la laisser croupir dans une bibliothèque. Nous comptons bien la faire voter et réellement appliquer car les lois sur les violences sont toujours très difficilement appliquées et c’est pour cela que nous avons créé un Comité de vigilance et de suivi de la loi du 9 juillet.

Ce combat nous pouvons, nous devons le mener ensemble comme nous menons le combat contre l’ensemble de la domination masculine dont les violences sont les garantes et les conséquences.

Nous suivre