Laisser le choix aux parents entre trois possibilités - donner à l’enfant le nom du père, le nom de la mère ou les deux noms accolés dans l’ordre qu’ils préfèrent - n’est cependant pas la solution que nous aurions souhaitée : le Collectif préconisait le port du double nom selon la coutume espagnole.
La méthode employée par la réforme pose question. Comme c’est la mode actuellement, on a préféré donner le choix : les parents sont appelés à « choisir » le nom comme s’ils allaient à un marché. Cela laisse la porte ouverte aux désaccords, aux rapports de forces, aux pressions familiales, etc. La raison du plus fort, l’attachement aux traditions bien ancrées, risquent fort de faire que la grande majorité des familles choisissent le nom du père. On n’aura guère avancé…
Le port d’un nom unique ne présente qu’un avantage : l’enfant reconnu par un seul de ses parents ne se fera pas remarquer pour autant. Mais on n’est plus à l’époque où les enfants non reconnus par un des parents étaient stigmatisés…
Quoi qu’il en soit, cette réforme met fin – du moins, elle met un frein – à l’appropriation par le père des enfants qu’une femme a portés. C’est une opération très réelle, très concrète sur nos mentalités, sur la tendance du père à s’approprier mère et enfants, à s’approprier la « lignée ». Un des fondements du patriarcat est ainsi mis à mal. C’est, par ricochet, un coup porté au rôle mythique du « Nom du père » forgé par les psychanalystes, mais ce concept a encore de beaux jours devant lui...
Nommer l’enfant, c’est d’abord et surtout lui donner un prénom qui sera sa marque propre, qui scellera son identité, qui le désigne comme un être neuf (et, au Brésil par exemple, on connaît les gens essentiellement par leur prénom). C’est ensuite, mais ensuite seulement, le mettre en relation avec deux lignées : celle du père et celle de la mère, deux lignées qui sont, enfin, mises à égalité. La généalogie d’un enfant est double, et c’est pour lui une richesse que de le manifester enfin.
Cette réforme du patronyme, ce n’est pas détruire la famille, c’est détruire un modèle pernicieux de la famille. C’est inventer une famille où chacune et chacun pourra se sentir à la fois autonome, existant par soi et pour soi, et en relation multiple.